1. Accueil 
  2. Notre blog 
  3. L’intelligence artificielle dans le recrutement 

L’intelligence artificielle dans le recrutement : des pratiques et outils qui évoluent dans un cadre règlementaire devant s’adapter

18 mars 2025

L’émergence de l’IA dans les recrutements : une productivité accrue face à des enjeux d’équité sociale et de transparence des données

L’intelligence artificielle transforme progressivement le marché du recrutement en France, en modifiant les méthodes traditionnelles d’identification, de sélection et d’évaluation des candidats. Elle représente une avancée technologique majeure qui offre de nombreuses opportunités mais soulève aussi d’importants défis pour les années à venir.

D’un côté, l’IA permet de gagner en efficacité sur l’ensemble du processus de recrutement. Elle automatise des tâches répétitives comme le tri des CV ou la planification des entretiens, ce qui réduit considérablement le temps de traitement des candidatures. Elle favorise également un meilleur ciblage des profils grâce à des algorithmes capables de faire correspondre les compétences des candidats aux besoins réels des postes, au-delà des simples mots-clés. L’intelligence artificielle enrichit aussi l’expérience des candidats en fluidifiant leur parcours, grâce à des chatbots disponibles en continu ou des entretiens vidéo asynchrones. Elle peut enfin contribuer à une prise de décision plus fine à travers l’analyse prédictive et la détection de soft skills, notamment via l’étude de la communication verbale et non verbale.

Cependant, cette transformation soulève de nombreuses interrogations éthiques, sociales et juridiques. L’un des enjeux majeurs réside dans le risque de reproduction ou d’amplification de biais discriminatoires par les algorithmes, lorsque ceux-ci sont entraînés sur des données historiques inégalitaires. La transparence des outils devient alors cruciale, car de nombreuses décisions automatisées restent opaques pour les candidats et même parfois pour les recruteurs eux-mêmes. La protection des données personnelles constitue également une préoccupation centrale, notamment dans le cas d’enregistrements vidéo ou de traitements de données sensibles. L’encadrement réglementaire devra évoluer en conséquence, comme le prévoit le futur règlement européen sur l’IA, qui classe le recrutement parmi les domaines à haut risque.

Par ailleurs, l’adoption de l’IA dans le recrutement impose une montée en compétences des professionnels des ressources humaines. Ils devront non seulement apprendre à utiliser ces technologies, mais aussi à en comprendre les limites, à garder un regard critique sur les résultats générés et à maintenir l’indispensable dimension humaine dans la relation entre employeurs et candidats.

À l’avenir, le principal défi consistera à faire coexister performance technologique, équité sociale et responsabilité éthique. Il ne s’agira pas seulement d’optimiser les recrutements, mais de veiller à ce qu’ils restent justes, inclusifs et respectueux de la dignité des personnes. L’IA devra être un levier de progrès, non un facteur d’exclusion.

En France et en Europe, le cadre règlementaire comme garde-fou

Le cadre réglementaire de l’intelligence artificielle appliquée au recrutement en France est en pleine construction, mêlant les règles nationales existantes, principalement issues du droit du travail et de la protection des données personnelles, et les normes à venir, notamment au niveau européen. Il s’agit d’un cadre hybride, en évolution, qui cherche à encadrer l’usage croissant de l’IA dans les processus de gestion des ressources humaines.

En premier lieu, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), en vigueur depuis 2018, constitue la pierre angulaire de la régulation actuelle. Toute utilisation d’un outil d’intelligence artificielle dans le recrutement, en particulier lorsqu’il repose sur l’analyse automatisée de données personnelles (comme les CV, les tests de personnalité, les entretiens vidéo, etc.), est soumise aux principes du RGPD. Cela implique notamment l’obligation d’information des candidats sur l’existence d’un traitement automatisé, la finalité de ce traitement, les données utilisées, ainsi que la possibilité pour la personne concernée de s’y opposer ou d’exiger une intervention humaine. L’article 22 du RGPD interdit en principe les décisions exclusivement automatisées produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne, sauf exception clairement encadrée. Par conséquent, un refus de candidature décidé uniquement par un algorithme, sans intervention humaine, est problématique au regard de ce texte.

La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) joue un rôle essentiel dans la supervision de l’utilisation de ces technologies. Elle publie régulièrement des recommandations pour les employeurs et les éditeurs de solutions RH, visant à garantir un usage éthique et légal de l’IA. Elle insiste notamment sur l’importance de la transparence algorithmique, de la minimisation des données collectées et du respect du consentement éclairé des candidats. Elle appelle également à une vigilance accrue face aux biais potentiels des systèmes d’IA, qui pourraient entraîner des discriminations indirectes dans les processus de sélection.

En parallèle, un nouveau cadre réglementaire est en cours de finalisation au niveau européen : l’AI Act, ou Règlement européen sur l’intelligence artificielle. Ce texte, en discussion depuis 2021 et en voie d’adoption définitive en 2024, vise à créer un cadre harmonisé pour les usages de l’IA dans l’Union européenne. Il introduit une classification des systèmes d’IA selon leur niveau de risque. Le recrutement est expressément cité comme un usage à haut risque, ce qui implique des exigences renforcées. Les systèmes utilisés dans ce cadre devront faire l’objet d’une évaluation de conformité, garantir la qualité des données d’entraînement, assurer une traçabilité des décisions, et permettre une supervision humaine. Les entreprises qui utiliseront ce type de système devront également mettre en place des procédures internes de contrôle et pourront être soumises à des audits.

En complément, le Code du travail français reste un socle important, notamment en matière de non-discrimination à l’embauche. Toute technologie de recrutement, qu’elle intègre de l’IA ou non, doit respecter les principes d’égalité de traitement, d’équité et de justification objective des critères de sélection.

En résumé, le cadre réglementaire actuel repose principalement sur le RGPD et les obligations générales du droit du travail, mais il est amené à s’étoffer avec l’arrivée du règlement européen sur l’intelligence artificielle. Ce futur cadre imposera aux entreprises un devoir de vigilance accru quant à l’usage des algorithmes dans leurs pratiques de recrutement, avec une attention particulière portée à la transparence, à l’équité et à la supervision humaine.

Quels outils pour quels usages aujourd’hui ?

En France, plusieurs outils intégrant de l’intelligence artificielle sont aujourd’hui utilisés dans le recrutement, et chacun joue un rôle spécifique dans les différentes étapes du processus, depuis le sourcing jusqu’à l’évaluation finale des candidats. Ces outils ont pour objectif principal de rendre les recrutements plus rapides, plus précis et plus efficaces, tout en soulevant de nouveaux enjeux liés à l’automatisation et à l’éthique.

Parmi les solutions les plus répandues figure tout d’abord LinkedIn Recruiter, qui repose sur des algorithmes d’IA capables de recommander automatiquement des profils susceptibles de correspondre à une offre d’emploi. L’outil analyse des millions de données de parcours professionnels et d’interactions pour suggérer aux recruteurs des candidats, même passifs, qui n’ont pas forcément postulé. Ce type de matching prédictif repose sur l’analyse de critères explicites comme les compétences ou l’expérience, mais aussi implicites, comme les intérêts professionnels ou les réseaux relationnels.

Un autre outil utilisé est Trimoji, qui se spécialise dans l’analyse comportementale et la prédiction du potentiel humain. Cet outil propose aux candidats de passer des tests en ligne visant à mesurer leur personnalité, leur motivation et leur logique. L’intelligence artificielle traite ensuite les résultats pour évaluer la compatibilité d’un profil avec un poste donné ou avec la culture d’une entreprise. Contrairement aux approches uniquement centrées sur le CV, ce système valorise les soft skills et cherche à détecter le potentiel, indépendamment de l’expérience passée.

De leur côté, des plateformes comme Flatchr ou TalentView utilisent l’IA pour gérer automatiquement la réception et la préqualification des candidatures. Ces outils classent les CV en fonction de leur pertinence par rapport aux critères de l’annonce, en s’appuyant sur une lecture automatique des documents (par traitement du langage naturel) et une pondération des mots-clés. Ils permettent aussi de créer des questionnaires personnalisés pour affiner la sélection et d’automatiser les relances ou les réponses aux candidats.

Dans un autre registre, des outils tels que EasyRecrue (aujourd’hui intégré à iCIMS) permettent de réaliser des entretiens vidéo différés. Les candidats répondent à des questions enregistrées, et l’intelligence artificielle peut analyser les réponses non seulement sur le fond, mais aussi sur la forme, en étudiant la gestuelle, le ton de la voix ou le vocabulaire utilisé. Ce type d’analyse suscite toutefois des débats, notamment sur la fiabilité des interprétations émotionnelles et sur les risques de biais implicites.

L’IA intervient également dans l’amélioration de la relation candidat via des chatbots RH comme ceux développés par CleverConnect ou Jobpal. Ces assistants virtuels peuvent répondre automatiquement aux questions des candidats, les aider à trouver des offres correspondant à leur profil, ou encore planifier des entretiens. Ils jouent un rôle dans l’expérience utilisateur en rendant les échanges plus fluides et accessibles à toute heure.

Enfin, certaines grandes entreprises françaises ou multinationales basées en France utilisent des solutions intégrées comme SAP SuccessFactors ou Workday, qui intègrent des modules d’intelligence artificielle pour analyser les parcours des collaborateurs, anticiper les besoins en recrutement ou recommander des mobilités internes. Ces systèmes combinent les données RH historiques avec des modèles prédictifs pour accompagner les décisions stratégiques en matière de gestion des talents.

En résumé, l’intelligence artificielle appliquée au recrutement en France repose sur un éventail d’outils couvrant l’ensemble du parcours candidat. Elle permet de repérer plus rapidement les bons profils, de mieux comprendre les comportements et motivations, et de fluidifier les échanges entre les recruteurs et les postulants. Mais son usage suppose une vigilance constante sur la qualité des données, la transparence des processus et la place de l’humain dans la décision finale.

Quelques chiffres sur l’adoption de l’IA par les recruteurs en France

L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine du recrutement en France connaît une adoption croissante, bien que son déploiement varie selon les entreprises et les secteurs.​

Une enquête publiée en novembre 2024 indique que près de 80 % des recruteurs français ont intégré l’IA générative dans leurs activités, principalement pour la rédaction d’offres d’emploi, de messages d’approche, de publications sur les réseaux sociaux professionnels et de courriels de refus aux candidats. ​

Par ailleurs, une étude de 2024 révèle que 57 % des directeurs des ressources humaines (DRH) prévoient d’intégrer l’IA dans leurs processus de recrutement, tandis que 39 % l’utilisent déjà. ​

Cependant, l’adoption de l’IA dans le recrutement n’est pas uniforme. Selon une étude publiée en 2023, environ 10 à 15 % des entreprises françaises ont implémenté une solution intégrant l’IA dans leur gestion des recrutements. ​

En ce qui concerne la fréquence d’utilisation, parmi les professionnels utilisant l’IA au travail, 44 % l’emploient au moins une fois par jour.

Ces données reflètent une tendance à la hausse de l’intégration de l’IA dans les processus de recrutement en France, avec une adoption plus marquée chez les recruteurs et les grandes entreprises, tandis que les petites et moyennes entreprises progressent à un rythme plus modéré.

Arnaud Mathieu
Consultant Senior